RÉCIT DE MADAME IHICH
(interview donné à l'Echo des cités, journal du MIB n°17, janvier-février 2001) :
"Mon fils est rentré du travail, il a posé ses affaires et m'a dit qu'il
partait à la mosquée faire sa prière et après voir un de ses copains. Je me
suis couchée. Je me réveille à 2 heures du matin, il n'était toujours pas
rentré. Par la fenêtre, j'ai vu des bagarres avec la police. Je l'ai attendu
jusqu'au matin. Son père est parti le chercher mais il ne l'a pas trouvé
chez son copain. Comme il y avait des émeutes, son père est parti au
commissariat, au cas où. On lui a dit qu'Aïssa était là, mais qu'il ne
pouvait pas le voir. Mon mari leur a expliqué qu'il était en très mauvaise
santé et qu'il fallait lui donner son médicament. Les policiers lui ont
répondu que ce n'était pas la peine. Quand j'ai su que Aïssa avait été
arrêté, je me suis dit qu'il allait ressortir tout de suite puisqu'il
n'avait jamais eu aucun problème avec la police. Vous savez j'ai toujours
appris à mes enfants à gagner leur argent honnêtement, ils ont toujours
travaillé. Je faisais confiance à la police, j'étais tranquille.
Deux fois mon mari est parti avec la Ventoline mais les policiers ne
voulaient pas la prendre. Sa s¦ur est même partie au tribunal de Versailles
pour lui donner à son passage devant le juge.
A 13 heures le lundi, on m'a téléphoné en me demandant de venir vite au
commissariat avec les médicaments. J'ai aussi apporté son carnet de santé.
Là-bas, un jeune policier m'a regardé, mal à l'aise. Ils m'ont fait sortir
du commissariat, j'ai dû taper sur la porte, crier que je voulais voir mon
fils. J'ai vu le médecin sortir tranquillement du commissariat et parler
avec un inspecteur. Je sentais bien qu'il y avait un problème. Finalement,
je suis rentrée et je suis montée à l'étage où un inspecteur m'a demandé de
signer un papier. Quand j'ai commencé à lire, il m'a demandé comment ça se
faisait que je savais lire. Il m'a dit aussi qu'on avait qu'à ne pas faire
autant d'enfants, comme des lapines. Je n'ai pas signé, j'ai redemandé à
voir mon fils. Ils m'ont emmené dans plusieurs bureaux, personne ne me
disait où était Aïssa. Dans un bureau, un inspecteur a reçu un coup de fil,
il m'a regardé et a dit "je ne peux pas vous parler, la mère est ici". Là
j'ai senti que mon fils était mort. J'ai vu une voiture de pompiers qui
sortait du commissariat. Des jeunes m'ont vu courir après les pompiers et
m'ont demandé ce qu'il se passait. Je leur ai expliqué et ils se sont
dirigés vers le commissariat. Quand ils ont vu les jeunes se rapprocher, les
policiers m'ont mis dans une voiture et on a suivi les pompiers.
Là un médecin est venu me voir après quelques minutes pour me dire qu'Aïssa
était mort. Je suis rentré le voir. Il était allongé sous un drap. Il avait
du sang qui sortait du nez et de la bouche. Il avait des bosses comme des
¦ufs sur tout le côté gauche de la tête. Son corps était couvert de marques
de coups, surtout à gauche, sur les côtes. Le corps était plein de bleus.
Vous savez, j'ai été infirmière, au Maroc et ici, à Argenteuil, je connais
tout ça. Si c'était les marques de la réanimation, elles se trouveraient sur
la poitrine, vers le coeur, pas sur toutes les côtes. Et il était tout froid.
Je sais qu'il est mort au commissariat.
La nouvelle s'est répandue. Dans les jours suivants, il y a beaucoup de
familles qui sont venues pour nous voir, des amis, des voisins. Aussi plein
de journalistes, d'avocats, même le premier ministre (à l'époque Edith
Cresson, qui avait assuré la famille de sa détermination à ce que les
responsables soient sévèrement punis NDR). Dans le quartier, les jeunes se
rassemblaient devant chez nous ou devant le commissariat.
Pendant un an, beaucoup de familles et de voisins du quartier sont venus et
nous ont aidé dans la vie quotidienne. Mais beaucoup de ceux qui faisaient
des promesses comme Edith Cresson ont disparu, on a rien vu venir de leur
part, ils ne nous ont jamais aidé dans les démarches, avec les juges
SONIA (soeur de Aïssa) ajoute : Je veux dire aussi que deux jours après la
mort de Aïssa, on a reçu de nombreuses lettres de menace, des lettres
racistes, des lettres de reproche comme quoi il n'avait pas à être dehors.
Des coups de fils aussi qui disaient : "ça en fait un de moins", "vous allez
le ramener au Maroc en chameau". De qui ça vient, je ne sais pas, mais ça
faisait encore plus de souffrances à supporter."